Salle des Oiseaux du château de Jeanne de Merle

La Salle des Oiseaux, située au premier étage dans l’aile nord du château, est l’une des plus spectaculaires. 

Elle frappe par l’éclat de ses couleurs et la richesse de son décor peint, réalisé à la détrempe vers 1625, lors de la construction de la demeure par Jeanne de Merle.

Un décor illusionniste et raffiné

Les murs se déploient comme une loggia en trompe-l’œil : colonnes et balustrades peintes ouvrent sur un fond écarlate, créant l’illusion d’une galerie ouverte sur un vaste jardin. 

Perroquets, faisans, pintades et autres oiseaux viennent animer ce décor théâtral, ponctué de bouquets de fleurs.

Perroquet - Salle des Oiseaux

Un dialogue entre exotisme et familiarité

Au centre des panneaux, le regard est attiré par une étonnante volière peinte : des perroquets aux couleurs vives côtoient des oiseaux plus familiers comme les faisans, pintades ou buses. Ce mélange n’est pas un hasard.

Les oiseaux exotiques, rares en Europe au XVIIᵉ siècle, rappellent la curiosité savante et humaniste des élites, fascinées par les récits de voyages et les merveilles rapportées de contrées lointaines. Les espèces locales, elles, évoquent au contraire les plaisirs champêtres et l’art de vivre aristocratique rythmé par la chasse et la proximité de la nature.

Réunis sur un même fond rouge éclatant, ces oiseaux composent un théâtre de la nature où se rencontrent le proche et le lointain, le quotidien et l’extraordinaire. Ils traduisent à la fois l’ancrage local de la demeure et son ouverture au monde, tout en offrant une métaphore poétique de la diversité des amours et des passions.

Les médaillons et leurs devises

En partie haute, une frise de médaillons historiés livre des messages moraux inspirés des Amorum Emblemata d’Otto van Veen, recueil d’emblèmes amoureux publié en 1608.

On y lit par exemple :

  • « Amour passe tout », où Cupidon triomphe même du fer et de l’acier ;

  • « Secours me nuit », rappel que les obstacles attisent le désir ;

  • « C’est pour choisir », méditation sur la constance amoureuse.

C'est pour choisir - Salle des oiseaux

Entre mémoire familiale et affirmation politique

Deux éléments rappellent l’histoire des propriétaires :

  • au-dessus d’une porte, les armoiries de la famille de Merle, fondatrice du château,

  • sur la cheminée, le portrait de Philippe V d’Espagne, ajouté à la fin du XVIIᵉ siècle par les Moulceau. Ce choix illustre le ralliement de la famille aux Bourbons au moment de la guerre de Succession d’Espagne, et inscrit le château dans l’actualité politique européenne.

armoiries jeanne de Merle - Grigny RHône
Amoiries de la famille de Merle - Salle des Oiseaux

Une pièce manifeste du XVIIᵉ siècle

La Salle des Oiseaux est à la fois un plaisir visuel par son décor foisonnant, un exercice d’esprit avec ses devises morales, un témoignage politique avec le portrait royal et une mémoire familiale avec les armoiries des Merle.

C’est aujourd’hui encore l’un des plus beaux ensembles peints conservés dans une maison des champs lyonnaise du XVIIᵉ siècle.

Quelques-unes des gravures qui ont inspiré ces peintures

Nucleus Emblematum, 1611 et Nucleus emblematum selectissimorvm centuria secunda, 1613.
Textes : Gabriel Rollenhagen (1583-1619) | Gravures : Crispijn de Passe l’Ancien (1564-1637)

Amour passe tout - Amorum Emblemata

NIHIL TAM DURUM ET FERREUM, QUOD NON AMORIS TELIS PERFRINGATUR.

Defendit Parthi celeres lorica sagittas,
Ferreus umbo aciem ferri inhibere valet ;
At nihil à telis pharetrati munit Amoris ;
Quem ferit hic volucri cuspide, transadigit.

Il n’est rien d’aussi dur et de ferreux que les traits de l’Amour ne puissent percer.

La cuirasse protège des flèches rapides des Parthes,
Le bouclier de fer arrête le tranchant de l’acier;
Mais rien ne met à l’abri des traits d’Amour armé de son carquois.
Celui qu’il frappe de sa pointe ailée, il le transperce.

Traduction moderne (du vieux français) : 
Ni le fer, ni l’acier, ni même leur trempe n’arrêtent
Le petit archer et la dureté de son dard,
Qui perce aisément les cœurs de part en part.
Tout ce qui vit au monde doit céder à sa flèche.

Amour passe tout - Amorum Emblemata

AUT MORS AUT VITA DECORA

Alterutrum optandum est, aut mors aut vita decora,
Turpe fuga vitam quaerere: Malo mori.

Ou la mort, ou une vie honorable

Il faut choisir l’une des deux : ou la mort, ou une vie honorable.
C’est une honte de chercher à sauver sa vie par la fuite : je préfère mourir.

Cet emblème illustre la valeur du courage et de l’honneur.

Mieux vaut affronter le danger (le sanglier, symbole de la mort) et mourir dignement que de fuir lâchement pour survivre.

C’est un message stoïcien et héroïque, directement inspiré de la morale antique.

Amour passe tout - Amorum Emblemata

CONSTANTE FIDUCIA

Judice freta Deo, superat FIDUCIA CONSTANS.
Omne malum, et Christo sub cruce laeta duce est.

Confiance constante

Plaçant son jugement en Dieu, la confiance constante triomphe de tout mal et, guidée joyeusement par le Christ sous la croix, elle avance.

Cet emblème illustre la vertu de la Foi et de la Constance :

  • La femme personnifie la fiducia constans (la confiance inébranlable).

  • Le calice et la croix renvoient directement à l’Eucharistie et à la Passion du Christ.

  • Le message moral : seule une foi constante permet de surmonter toutes les épreuves.


 

Philippe V d'Espagne - Salle des Oiseaux

Philippe V d’Espagne, un Bourbon sur le trône d’Espagne

En 1700, à la mort de Charles II, Philippe de Bourbon, duc d’Anjou et petit-fils de Louis XIV, devient roi d’Espagne sous le nom de Philippe V.
Son avènement marque un tournant politique majeur : pour la première fois,
un Bourbon monte sur le trône espagnol, ouvrant la voie à la dynastie qui règne encore aujourd’hui.

Un lien fort avec la France et les Bourbons

Petit-fils du « Roi-Soleil », Philippe V incarne l’alliance dynastique entre les deux plus grandes monarchies de l’époque. Son règne débute dans la tourmente de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), où la France et l’Espagne unies affrontent une large coalition européenne.

Et Lyon dans tout cela ?

Même si Philippe V ne séjourna pas à Lyon, son portrait dans la salle des Oiseaux traduit la volonté des propriétaires du château de se placer sous l’égide des Bourbons. Lyon, ville de marchands, de soyeux et de financiers, entretenait des liens étroits avec la cour et suivait de près les événements européens. Afficher Philippe V dans une demeure lyonnaise, c’était affirmer sa fidélité au pouvoir royal et rappeler la place de la cité rhodanienne dans les grands réseaux politiques et économiques du royaume.

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